Unité et systématicité de la science d'après Descartes - Extrait et questions

Modifié par Ericlecoquil

La morale par provision de 1637 n'est donc pas la morale définitive. Elle n'est qu'une morale en attendant d'avoir une morale, c'est-à-dire une vraie morale.

Dans la Lettre-préface des Principes de la philosophie de 1644, Descartes donne un aperçu, en prenant l'image d'un arbre, de l'unité du savoir humain, fondée sur l'unité de la raison et du système des connaissances. La morale devient alors une des branches de la physique, c'est-à-dire de la connaissance de la nature.

Cette morale définitive n'est-elle qu'un projet dont la réalisation est sans cesse repoussée, puisque suspendu à l'achèvement d'une physique ? La morale définitive, peut-on dire, ne cesse de se faire attendre et nous sommes en un sens réduits à en rester à une morale par provision, c'est-à-dire en attendant durant le temps du voyage, de la recherche.

Finalement, peut-on vraiment sortir du provisoire ? 


Descartes, en rédigeant le Traité des passions de l'âme en 1649, accomplit cependant un pas décisif en direction de cette vraie morale. Mais cet immense progrès s'accompagne d'une redéfinition de l'objet même de la morale : il s'agit moins d'une réflexion sur "les valeurs", que d'une étude des rapports entre le corps et l'esprit. Comme il l'écrit : "C’est particulièrement ce désir que nous devons avoir soin de régler ; et c’est en cela que consiste la principale utilité de la morale."

La morale devient alors une connaissance des passions, de nos affects. Cette connaissance enfin rationnelle permet alors de les régler, c'est-à-dire de les bien diriger.

Finalement, la "vraie morale" est une science des passions, une psychosomatique, une science des interactions entre le corps et l'esprit. 


Extrait :

[...] Un homme [...] doit, avant tout, tâcher de se former une morale qui puisse suffire pour régler les actions de sa vie, à cause que cela ne souffre point de délai, et que nous devons surtout tâcher de bien vivre. Après cela, il doit aussi étudier la logique, non pas celle de l’École, car elle n’est, à proprement parler, qu’une dialectique qui enseigne les moyens de faire entendre à autrui les choses qu’on sait, ou même aussi de dire sans jugement plusieurs paroles touchant celles qu’on ne sait pas, et ainsi elle corrompt le bon sens plutôt qu’elle ne l’augmente ; mais celle qui apprend à bien conduire sa raison pour découvrir les vérités qu’on ignore ; et, parce qu’elle dépend beaucoup de l’usage, il est bon qu’il s’exerce longtemps à en pratiquer les règles touchant des questions faciles et simples, comme sont celles des mathématiques. Puis, lorsqu’il s’est acquis quelque habitude à trouver la vérité en ces questions, il doit commencer tout de bon à s’appliquer à la vraie philosophie, dont la première partie est la métaphysique, qui contient les principes de la connaissance, entre lesquels est l’explication des principaux attributs de Dieu, de l’immatérialité de nos âmes, et de toutes les notions claires et simples qui sont en nous. La seconde est la physique, en laquelle, après avoir trouvé les vrais principes des choses matérielles, on examine en général comment tout l’univers est composé ; puis en particulier quelle est la nature de cette terre et de tous les corps qui se trouvent le plus communément autour d’elle, comme de l’air, de l’eau, du feu, de l’aimant et des autres minéraux. En suite de quoi il est besoin aussi d’examiner en particulier la nature des plantes, celle des animaux, et surtout celle de l’homme, afin qu’on soit capable par après de trouver les autres sciences qui lui sont utiles. Ainsi toute la philosophie est comme un arbre, dont les racines sont la métaphysique, le tronc est la physique, et les branches qui sortent de ce tronc sont toutes les autres sciences, qui se réduisent à trois principales, à savoir la médecine, la mécanique et la morale ; j’entends la plus haute et la plus parfaite morale, qui présupposant une entière connaissance des autres sciences, est le dernier degré de la sagesse.

René DESCARTES, Lettre-préface à l'édition française des Principes de la Philosophie, dans Œuvres philosophiques, tome III, Classiques Garnier, 1989, p. 778-780.


Questions :

1. Pour quelles raisons doit-on "tâcher de se former une morale qui puisse suffire pour régler les actions de sa vie" ? Comment interprétez-vous les expressions "tâcher de" et "qui puisse suffire" ?

2. Que reproche Descartes à la "la logique [...] de l’École" ?

a) De quelle "École s'agit-il ? Pour répondre, aidez-vous de la perle suivante.

b) Quel philosophe de l'antiquité, considéré comme le fondateur de la logique et de la dialectique au sens que Descartes lui donne ici, est-il ici visé par cette critique ?

c) Quel reproche Descartes fait-il à la technique dialectique qu'il a apprise au Collège de La Flèche où il était élève, lorsqu'il écrit qu'elle "enseigne les moyens de faire entendre à autrui les choses qu’on sait, ou même aussi de dire sans jugement plusieurs paroles touchant celles qu’on ne sait pas" ?

d) En quoi cette manière de raisonner dialectiquement "corrompt[-elle] le bon sens plutôt qu’elle ne l’augmente" ?

3. La bonne logique, celle qu'il faut pratiquer est, écrit Descartes, "celle qui apprend à bien conduire sa raison pour découvrir les vérités qu’on ignore".

a) De quel autre type de logique peut-il s'agir ?

b) En quoi "dépend[-elle] beaucoup de l’usage" ?

c) Comment, d'après le texte, peut-on s'y exercer ?

d) Quel est le domaine par excellence dans lequel son apprentissage peut avoir lieu ? Pour quelles raisons ?

4. Qu'est-ce qu'une propédeutique ? Pourquoi l'apprentissage de la logique est-il, selon le texte, une propédeutique indispensable à "la vraie philosophie" ?

5. Quelle est la nouvelle organisation générale du savoir que Descartes met sur pied dans cet extrait ?

a) Indiquez-en les trois grandes parties.

b) Précisez pour chacune d'entre elles ce qu'elle doit contenir.

c) Sur une feuille de papier, dessinez l'arbre de la connaissance tel que Descartes le décrit, en replaçant sur chaque partie de l'arbre (les racines, le tronc, les branches) de façon ordonnée les différents types de connaissances précédemment énumérés.

6. Quelle place la vraie morale tient-elle dans cet ordre des sciences ? Pour répondre, aidez vous des questions suivantes :

a) Pourquoi cette vraie morale est-elle caractérisée comme "la plus haute et la plus parfaite" ? Que devrait-elle en ce sens contenir, indiquer ou prescrire ?

b) Descartes précise que la vraie morale présuppose "une entière connaissance des autres sciences" :

  • Pour quelles raisons, selon vous ?
  • Quelle définition nouvelle de la morale cela implique-t-il que de dire qu'elle doit reposer sur "une entière connaissance des autres sciences" ?
  • En quoi cela vous semble-t-il correspondre à l'entreprise philosophique développée par Descartes dans le Traité de passions de l'âme ?

7. Quelles conclusions pouvez-vous tirer de ces indications quant au processus de découverte ou de mise au point de cette vraie morale ?

8. La possibilité d'une telle vraie morale invalide-t-elle par conséquent l'utilité et la nécessité d'une morale par provision ?

9. Si la vraie morale est caractérisée par Descartes, à la fin de l'extrait, comme "le dernier degré de la sagesse", peut-on dire que la morale par provision en serait le premier degré, et si oui, en quel sens ?

10. Comment définiriez-vous la notion de sagesse, dans ce contexte ?


Réflexion :

En vous appuyant sur vos analyses de l'extrait précédent et sur l'ensemble de vos analyses de la troisième partie du Discours de la Méthode de Descartes, rédigez une dissertation sur le sujet suivant : Devenir plus savant, est-ce devenir plus sage ?

Source : https://lesmanuelslibres.region-academique-idf.fr
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